Jean-Luc Riva
AUTEUR

Jean-Luc Riva

Écrire L’envie d’écrire m’est venue dans la dernière partie de ma carrière militaire. L’affaire du Rainbow Warrior avait propulsé des cadres de la DGSE loin de la Centrale de Mortier et de ses annexes. C’est ainsi que l’un d’entre eux, le colonel L. s’est retrouvé chef du Bureau Opérations-Instruction à l’École Interarmées du Renseignement. Numéro 2 du Service Action, il symbolisait ce que doit être la conjonction du renseignement et de l’action. Dire qu’il ne s’embarrassait pas de principes est un doux euphémisme. Pour lui, seul comptait le résultat. Nous étions à l’époque (1986) une poignée à tenter de monter ce qui devait être une Académie du renseignement et des langues et son arrivée nous ouvrit de nouveaux horizons. Sous son impulsion, la recherche documentaire sur les forces du pacte de Varsovie devint la priorité n° 1. Il nous envoyait en mission à chaque défilé militaire qui se tenait dans les villes des pays de l’Est. Il nous fallait aussi couvrir les principaux salons d’armement, le tout pour en ramener des images et de la documentation. Tout cela complétait le travail confidentiel et dangereux que menait la MMFL (Mission de liaison auprès des autorités soviétiques) au cœur de l’Allemagne de l’Est. Et l’écriture là-dedans ? C’est à de ces retours de mission, en buvant une bière au mess de l’école, qu’il nous parla d’un aspect de la guerre froide que je connaissais mal : les réseaux Stay-behind. Dans la paranoïa ambiante, on voyait l’œil de Moscou partout, l’existence d’un dispositif préétabli pour résister à l’ennemi en cas d’invasion soviétique, me sembla difficile à croire. Je creusais la question et amassais des documents et des témoignages, allant jusqu’à rechercher les caches de matériels censées abriter le matériel nécessaire pour observer, transmettre, et détruire. En 1994, je quittais le ministère de la Défense, mais ce n’est qu’en 2012 que je mis à écrire sur le sujet, l’OTAN ayant enterré ces réseaux de la guerre froide en 1992. Le terrorisme islamiste frappait les chrétiens au Moyen-Orient et je pris le contre-pied de l’actualité en choisissant de publier une fiction « Les Faucons du Vatican », dans lequel, las de voir les démocraties occidentales impuissantes face à ces assassinats, le Vatican décidait de frapper à son tour en s’appuyant sur les réseaux Stay-behind. Je n’aurais pas dû. On me tomba dessus de partout parce que je décrivais un attentat le 14 juillet impossible à parer, et qu’il était inimaginable que l’Église puisse avoir un tel comportement. J’avais beau répondre que l’Inquisition et le massacre des populations d’Amérique du Sud n’était pas le fait d’enfants de chœur, rien n’y fit ! Ne bénéficiant d’aucune promo, le livre fut un échec. C’est du moins ce que je croyais. J’avais organisé un pot pour en fêter quand même la sortie et je vis arriver ce soir-là un grand type dégingandé qui me dit. - « Voilà, vous m’avez envoyé votre manuscrit, mais je n’ai pas eu le temps de le lire. À présent, c’est fait et j’aimerais bien que l’on travaille ensemble. Il s’appelait François de Saint Exupéry, le patron des éditions Nimrod. À notre première entrevue, il me confia l’écriture d’un ouvrage sur l’affaire de Loyada. Je pris ce sujet comme on le fait pour une mission de renseignement, fouiller, croiser les informations, rechercher des documents, rencontrer les témoins et vérifier leurs récits En procédant ainsi, l’écriture demande beaucoup plus de temps, mais le livre est aussi beaucoup plus riche en anecdotes et sa véracité ne peut être contestée. J’écoutais des dizaines d’heures d’enregistrements récoltés au cours de mes pérégrinations à travers la France que je reportais ensuite sur mon ordinateur. Ce n’était pas facile car les plaies étaient encore à vif, tant chez les hommes du GIGN et des légionnaires que chez les enfants otages. La difficulté de rédaction du livre venait que chaque acteur de ce drame avait vu « son Loyada ». Je passais donc des heures à faire des croquis pour établir le « qui a fait quoi ». Dans l’écriture d’un livre la relation avec l’éditeur est primordiale, avec François ce fut tout simplement extraordinaire. Attention, que l’on ne s’y trompe pas. Même si nous avons tissé une amitié, sur le plan de l’écriture, il est impitoyable et il vaut mieux laisser son égo sur le pas de la porte quand nous faisons nos débriefings. Mais, il m’a tout simplement appris à écrire, à synthétiser, à rejeter le superflu pour l’essentiel, à fouiller encore et encore sans jamais me contenter du premier témoignage venu. Je garde de la rédaction de ce livre, une belle aventure humaine ou en dehors des premiers hommes du GIGN et des légionnaires, j’ai pu rencontrer des héros d’un jour : Jean-Noël Mermet le chef de la brigade de gendarmerie de Loyada, qui arrêta le car et qui entama les premières négociations, le chauffeur du car dont le comportement a permis d’éviter un drame et dont le destin fut bouleversé ce jour-là. Quand j’ai posé le point final aux « Enfants de Loyada » je me suis dit qu’à présent, il me fallait écrire impérativement l’histoire des premiers hommes du GIGN. C’est d’eux dont j’avais envie de parler. Une nouvelle aventure commençait… L’écriture de « GIGN, nous étions les premiers » m’amena à rencontrer les gendarmes encore parmi nous, qui ont constitué en 1973 l’ossature de l’« Equipe Commando Régionale d’Intervention » qui deviendra le GIGN. C’est grâce au premier d’entre-eux Christian Prouteau, que tout cela fut possible. Mais si l’on veut qu’un récit soit crédible, il faut nécessairement qu’il soit validé par des témoins extérieurs à l’action. C’est ainsi que j’ai pu contacter le Général Maillols qui fut le chef de section de C. Prouteau à Saint Maixent, James Callahan, colonel des Special Forces US qui après avoir expertisé le GIGN a travaillé à son rapprochement avec la Delta Force ainsi que diverses personnalités (médecins, officiers ayant travaillé avec le GIGN, pilote d’hélicoptère etc.). Le croisement de tous ces témoignages me fit apparaitre qu’il y avait dans les récits antérieurs des « missions oubliées ». Parmi celles-ci Berlin, qui avait été classifiée, l’aide apportée par le GIGN à la Delta Force pour la libération du Général Dozier, alors qu’aujourd’hui encore beaucoup restent persuadés que ce sont les italiens seuls qui l’ont sorti des griffes des terroristes des Brigades Rouges. Tous me parlèrent de l’esprit pionnier qui les animaient et de l’étude empirique sur les matériels : explosifs, armes, premières expériences d’aérocordage, invention du tir coordonné, premiers plongeurs d’intervention, etc…Tous les basiques de l’intervention furent inventés à ce moment-là. J’écrivais là le récit de l’aventure d’un groupe composé d’hommes aux caractères bien trempés et dont la plupart figuraient déjà à la marge de l’Institution. Après avoir écrit deux livres sur le Groupe, le premier sur un fait d’arme, Loyada, le second sur sa constitution, GIGN, nous étions les premiers, il fallait une expérience individuelle pour conclure la trilogie. La vie est faite de rencontres, encore faut-il savoir les provoquer. Une dédicace avec C. Prouteau dans un stand de tir de l’Est de la France avec beaucoup de monde qui se termine par une invitation du patron du club de tir à venir tirer quelques cartouches. Au bout de vingt secondes, je ne regarde plus ma cible mais celle de mon voisin. A 25 mètres, un type avec un bonnet est en train de placer ses pions où il veut. Je vois les jets de sable se soulever à chaque rafale au même endroit ! Coup d’œil sur son arme : une pétoire ! Un pistolet mitrailleur allemand (MP38) dont la précision est inversement proportionnelle à la cadence de tir. C’est Franck Chaix, l’ancien chef de la Force d’intervention présent ce jour-là qui facilitera la rencontre. Voici Phil B, la quintessence de ce que doit être un ops me dit-il. Je lui propose de le rencontrer pour parler d’un livre mais ça n’a pas l’air de l’enthousiasmer plus que ça. Deux moi plus tard, il m’appelle. C’est OK ! Rendez-vous est pris avec François notre éditeur à qui il faut moins de trente secondes pour nous dire « OK, on fonce ! ». C’est cela que j’aime chez lui, l’esprit de décision. American sniper, 13 heures, Celui qui s’est échappé, Fallujah, et bien d’autres best-sellers traduits en français et dont il a acheté les droits, c’est lui ! En mai 2018 le travail commence. Je m’aperçois très vite qu’il est aux antipodes de l’image que beaucoup se font de son personnage. Il est fin, cultivé, drôle, percute à la vitesse du son lorsqu’une difficulté surgit et surtout il est toujours de bonne humeur. Cela compte quand on doit passer ensemble une journée par semaine pendant neuf mois : Lorsqu’après son départ, je retranscris les heures d’enregistrements, je me rends compte qu’il est nécessaire de proposer à Philippe des coupes sous peine d’atteindre les six cent pages ! Il respecte à la lettre ce qu’il considère être un engagement moral vis-à-vis de son ancienne unité : la confidentialité. Si les missions, et encore pas toutes, sont largement explicités dans le livre, les techniques et les tactiques sont survolées et beaucoup d’éléments vont rester dans le secret. Nous levons cependant un pan du voile sur ce qui est appelé le « coxage », cette épreuve d’interrogatoire qui a lieu pendant le stage ainsi que sur quelques entrainements spécialisés. Mais je mesure à chaque entretien le niveau d’expertise qu’est celui du GIGN d’aujourd’hui. Nul besoin pour eux d’aller se confronter à l’instructeur X, Y ou Z, leur mise en condition opérationnelle en effraierait plus d’un ! Au Groupe tout est fait pour créer la pression et le stress maximum lors des entrainements. Lorsqu’il me parle d’explosifs et de tir, je comprends pourquoi ils sont invités dans les unités spéciales du monde entier à venir partager leurs savoir-faire, ce qu’ils acceptent difficilement d’ailleurs. Quand je lui propose quelques passages sur les techniques en question, Philippe reste ferme en me disant : Chut, nul ne doit savoir ! Frustrant de ne pouvoir tout écrire.
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