La lettre, ressort romanesque
À l’instant où elle est apparue, la lettre n’a cessé de révéler son potentiel littéraire. Aujourd’hui encore, elle permet à n’importe quel personnage de faire passer un message indirectement. De ce fait, la lettre autorise une flopée de péripéties qui n’auraient pas pu avoir lieu, et donne à un récit une dimension et une profondeur supplémentaires.
Mais la véritable force de la lettre est probablement son caractère authentique. Car oui, lorsqu’on écrit une lettre, il y a bien souvent une perspective d’épanchement des sentiments, qu’ils soient positifs ou négatifs. Un assassin qui laisse un mot après son meurtre, un amoureux transi auprès de sa chère et tendre, autant de situations qui peuvent être développées grâce à un quelques mots retranscrit sur du papier.
Et très vite, le potentiel romanesque de la lettre a connu un franc succès, si bien qu’un genre nouveau est né : le roman épistolaire.
Le roman épistolaire
Né au XVIIème siècle, le roman épistolaire n’est autre qu’un ouvrage fondé uniquement sur un échange de lettres entre des personnages, très prisé à l’époque. Correspondance fictive ou non, ce genre littéraire restera en vogue au XVIIIème siècle et aujourd’hui encore, pour la simple et bonne raison qu’il permet de se plonger entièrement dans une histoire.
Pourquoi ? Par l’effet de réel qu’il procure ! Cette sensation de s’insérer dans l’histoire, et, pourquoi pas, de s’intégrer aux personnages, est celle que l’on attend tous et toutes d’un livre. Parmi les romans épistolaires les plus connus, on retrouve Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, les Lettres persanes de Montesquieu, ou encore Julie ou la Nouvelle Heloïse de Rousseau.
À la différence d’une lettre incluse dans un roman comme un accélérateur d’histoire, le roman épistolaire ne s’entoure pas de récit. Au contraire, il se fonde uniquement sur des lettres, avec peu ou pas de contextualisation. Cela permet de comprendre à demi-mots les sentiments d’un personnage, ou de laisser planer un suspense quant à la fin d'une relation amoureuse. Une dimension presque psychologique, que permet la polyphonie d’un tel dispositif. Car oui, un échange de lettres permet d’obtenir différents points de vue sur un seul et même sujet, de la part de personnages qui appartiennent à la même histoire.
Une manière également de nous renseigner sur les réalités d’une époque, comme en témoignait Rousseau en écrivant La Nouvelle Héloïse : “J’ai vu les mœurs de mon temps, et j’ai publié ces lettres”.
Une oralité renforcée
Si la lettre facilite les péripéties intérieures ou les aventures romanesques, elle est également un formidable vecteur d’oralité. Et oui, parfois, le canal épistolaire autorise certaines expressions ou sujets qui paraîtraient sortir de l’ordinaire dans un récit classique.
En cela, la lettre permet d’élargir les thèmes traités, mais surtout les manières dont ils sont évoqués. De ce fait, l'oralité épistolaire s’adapte parfaitement au livre audio et à la forme parlée d’une histoire.
Une histoire d’amour, un roman d’aventure, autant de genres littéraires que la lettre vient étoffer avec cette parole orale. En apportant un autre registre de langue ou des expressions idiomatiques, elle permet au lecteur d’être totalement emporté dans un cadre pensé par l’auteur.
Mais parfois, l’oralité est réelle, ou a réellement existé, comme en témoignent les correspondances entre Jean Coteau et Jean Marais, entre Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, ou encore entre Maria Casares et Albert Camus ! Une bonne occasion pour s’y replonger, et explorer les profondeurs des sentiments humains !
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le principe de la lettre est toujours aussi prisé dans les romans. On pourrait notamment penser à des grands succès tels que Le cercle littéraire des épluchures de patates de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, ou encore à Un homme à distance de Katerine Pancol, qui placent la lettre comme un objet essentiel dans leur histoire.
Désormais, les choses ont donc évolué, et le procédé qu'est la lettre a peu à peu changé de forme. Bien évidemment, on retrouve toujours ce petit bout de papier dans nos histoires, mais certains auteurs prennent notre époque à bras le corps, et transforment la lettre en un objet bien plus dématérialisé : le mail.
Véritable objet de communication, le mail est devenu un ressort semblable à la lettre, à ceci près qu’il n’est pas palpable, et qu'il est bien moins codifié. Un témoin de notre époque qui contribue à modifier en profondeur le lien entre les autres, et qui place l’histoire à un autre degré d’intimité. Car on le sait, le mail est beaucoup plus instantané que la lettre, et laisse place à moins d’attente, à moins de doutes. Une romance se verra donc traitée d’un point de vue différent, mais le principe reste le même, et en ceci, la lettre est un ressort romanesque on ne peut plus efficace ! On aurait presque envie d’avoir du courrier !