« Voilà qu’un certain vendredi de l’année 1284 se présenta devant le maire de la ville un homme grand et sec, il avait de grands yeux, une bouche fendue jusqu’aux oreilles, une plume au chapeau, un sac sur le dos, et portait une veste multicolore aux larges manches, un pantalon collant et des souliers pointus couleur de feu. Il offrit au maire, en échange de mille écus, de délivrer la ville de son fléau. »
- Les frères Grimm
C’est ainsi que débute une des légendes les plus connues d’Allemagne, celle du joueur de flûte de Hamelin. On considère qu’un milliard de personnes dans monde a connaissance de cette affaire criminelle datant du Moyen Age. L’histoire raconte qu’un flûtiste aurait fait disparaître en une seule fois 130 enfants de la ville de Hamelin en Basse-Saxe, le 26 juin de l’année 1284. Alors que cet étranger avait dératisé la ville selon le vœu du bourgmestre, il se vengea des habitants qui n’avaient pas voulu lui verser la somme convenue en entraînant les enfants au son de sa flûte et les faisant disparaître à tout jamais. Seuls trois enfants échappèrent à ce destin dont un aveugle et un autre sourd.
« Les parents coururent vers les portes de la ville et le cœur peiné, tous se mirent à la recherche de leurs enfants ; les mères se mirent à pleurer et poussèrent des cris à fendre l’âme. Des messagers furent dès lors envoyés par monts et mers dans tous les lieux afin de savoir si on avait vu les enfants ou du moins quelques-uns d’entre eux. Mais en vain. Les cent trente enfants avaient disparu et depuis lors, on n’eut jamais de nouvelles.
La douleur des parents fut si grande qu’ils commencèrent à compter le temps non plus en fonction du calendrier, mais en jours, mois et années « après la disparition des enfants ».
Le récit de cet enlèvement fait encore froid dans le dos aux parents d’aujourd’hui. Ce drame a inspiré et inspire encore bon nombre d’écrivains, de cinéastes et autres artistes dans le monde entier.
Le dernier en date est l’auteur de séries britanniques Anthony Khaseria. Dans son tout premier livre audio au casting brillant, l’ancienne légende allemande du joueur de flûte de Hamelin va servir d’inspiration à un ravisseur d’enfants pour accomplir une vengeance terrible. C’est du moins ce que croit la commissaire Paula Beyer, personnage principal dans l’histoire de Khaseria. « Je m’étais dit que si un tel événement arrivait de nos jours, il y aurait une enquête policière » nous révèle l’auteur en expliquant comment son inspiration pour ce livre audio lui était venue. « C’est cette pensée qui m’a conduit à l’idée d’une personne se servant de ce mythe pour en créer un conte moderne. Ce ne serait pas un conte, mais un cauchemar. »
Dossier « Le joueur de flûte » : Quelle est la part de vérité dans cette légende ?
La légende du joueur de flûte remonte-t-elle vraiment à un fait réel ? Est-ce que 130 enfants ont véritablement disparu à tout jamais de la ville de Basse-saxe en cette fin de XIIIe siècle ? Claudia Höflich, directrice du musée de la ville de Hamelin, en est persuadée : « Je pense que quelque chose s’est vraiment passé. Quoiqu’il s’agirait plutôt de jeunes adultes que d’enfants. Il existe très peu de sources, la plupart des faits ont été transmis à l’oral à travers des vers mnémotechniques. Mais il y a certainement eu un événement déclencheur à la base. Une légende entièrement inventée n’aurait pas subsisté durant autant de siècles, transmise de génération en génération. »
Des chercheurs se sont penchés sur le thème et sont également d’avis qu’en 1284, les habitants de Hamelin ont dû véritablement vivre une perte qui les a bouleversés. Plusieurs hypothèses sur ce qui s’est vraiment passé se sont formées depuis. Claudia Höflich est partagée entre deux théories possibles. Elle explique que d’un côté, selon la théorie de la migration, le dératiseur aurait été un « Lokator », une personne travaillant sous les ordres d’un souverain et organisait par exemple la fondation de nouvelles villes. Hamelin était une ville en plein essor et les habitants vivaient trop à l’étroit dans l’enceinte des murs. Il est bien possible que des habitants aient alors profité de l’occasion pour partir en direction de la Prignitz ou la Poméranie. Des chercheurs ont effet trouvé des analogies dans les noms de villages.
Cette hypothèse soulève cependant des questions comme le précise Höflich. Pourquoi est-ce que le contact aurait été alors interrompu de manière si nette ?
Dans une deuxième théorie, les autorités ou l’église n’auraient pas voulu qu’un certain événement ne soit pas inscrit dans les chroniques. Il y aurait eu éventuellement un mouvement d’hérétiques ou il s’agirait d’un groupe politique. En tout cas, il est probable que des jeunes insurgés de la ville aient été bannis ou même tués.
Cependant, les chercheurs sont d’accord sur un point : Le passage avec les rats ne faisait pas partie de l’histoire à l’origine mais a été ajouté au XVIe siècle alors que la légende sur le départ des enfants était déjà bien connue. Toutes les sources d’origine nomment le dératiseur « Piper », c’est-à-dire « joueur de flûte ».
De la guerre au meurtre en passant par la migration : Que s’est-il passé le 26 juin 1284 à Hamelin ?
L’hypothèse de la guerre
C’est une pierre de l’ancienne porte de la ville qui livre l’indice décisif pour l’hypothèse de la guerre. Voici les mots gravés en latin :
1556, CETTE PORTE DE LA VILLE A ETE FONDEE 272 ANS APRES QUE LE MAGICIEN AIT ENLEVE 130 ENFANTS DE LA VILLE.
Cette pierre est divisée en deux parties où deux dates sont gravées : Sur la partie la plus récente on découvre l’année 1556, sur la partie plus ancienne, 1531. Si on enlève 272 années de cette date, on remonte à l’an 1259. C’est à cette période-là que Hamelin a perdu beaucoup d’habitants lors d’une bataille lourde de victimes à Sedemünder. Il serait donc possible que les jeunes gens n’aient pas été enlevés mais soient morts à la guerre.
L’hypothèse du meurtre
L’historien local de Coppenbrügge, Gernot Hüsam, pense que des jeunes gens de la ville de Hamelin seraient partis pour se retrouver dans les environs des monts Poppenberg ou Coppenberg où ils auraient célébré des fêtes païennes. Un siffleur habillé en couleurs les y auraient guidés. Les comtes de Spiegelberg habitaient au château de Coppenbrügge non loin de ces monts et étaient très croyants. Ils se sont sentis importunés par ces fêtes paillardes et auraient, selon Hüsam, fait assassiner les jeunes.
L’indice principal pour son hypothèse se trouve dans la plus ancienne représentation imagée du joueur de flûte datant de 1592. Ce dernier y est représenté en train de guider les enfants vers un mont mystérieux où se trouve l’entrée d’une grotte. Les trois cerfs au centre de l’image symboliseraient les trois comtes selon Hüsam qui avaient en effet cet animal sur leurs armoiries. Hüsam est d’avis que le joueur de flûte et le cortège d’enfants se trouvent dans une grotte qui s’est effondrée. Une autre hypothèse confirme cette théorie courante dans la région de Coppenbrügge dans laquelle on affirme que les comtes auraient été accusés du meurtre.
Claudia Höflich du musée de Hamelin juge les autres hypothèses plus probables. Elle explique que l’hypothèse de la grotte effondrée n’est pas convaincante puisqu’il n’existe aucune preuve que des jeunes seraient partis en direction de Coppenbrügge. Selon la transmission orale d’origine, les jeunes seraient allés au mont Galgenberg qui se trouve cependant près de la ville. D’un autre côté, rien ne contredit non plus cette thèse.
L’hypothèse de l’hérésie
Le psychothérapeute médicolégal Stefan Joost évoque dans un travail de recherche inédit une théorie selon laquelle les « enfants » disparus auraient été en fait des jeunes citoyens qui se seraient rebellés contre l’église. Ils auraient été condamnés à être brûlés vifs. Ce châtiment a pu avoir lieu sur le mont Koppenberg. Dans son travail de recherche intitulé « Le joueur de flûte – Falsification, allégorie ou parabole ? », Joost a vérifié le degré de vérité de 15 sources datant entre le XIIIe et XVII e siècle. Il a constaté que les sources sont d’autant plus crédibles qu’elles sont éloignées du lieu de l’événement. Il est également possible que des intervenants politiques aient vécu à Hamelin qui auraient voulu dissimuler les faits réels – ce pourrait être le cas de l’Eglise.
L’hypothèse de la migration
L’explication la plus plausible repose sur le fait qu’un grand nombre d’habitants de Hamelin auraient quitté la ville lors de la colonisation germanique de l’Europe orientale. En effet, dans la tradition orale, il est précisé que les jeunes enlevés auraient été vus de l’autre côté du mont en Transylvanie, aujourd’hui une région de la Roumanie.
La colonisation germanique de l’Europe orientale a connu son apogée au XIIIe siècle. Les migrants étaient recrutés par des « Lokator » qui portaient des vêtements de couleurs pour qu’on puisse les reconnaître facilement. Un joueur de flûte ou de tambour les accompagnait et ils interpelaient souvent des jeunes gens sur la place du marché. À cette époque, trois millions d’habitantspeuplaient le territoire germanophone et on estime qu’un million d’habitants l’ont quitté, surtout en provenance du pays rhénan et de la région du Weserbergland où se trouve justement la ville de Hamelin. Les frères Nikolaus et Herrmann von Spiegelberg ont eux aussi chargé des « Lokator » de s’occuper de la colonisation de nouveaux territoires.
On perd la trace du comte Nikolaus von Spiegelberg le 8 juillet 1284 à Szczecin (aujourd’hui en Pologne), donc douze jours après la disparition des enfants de Hamelin. Il est possible que le comte se soit noyé avec les migrants interpelés lors d’un naufrage sur la mer Baltique non loin de Kopan. De là, les navires partaient en direction de la Prusse-Orientale. Ce qui serait une interprétation possible de l’inscription de la maison du dératiseur « bi den Koppen verloren » (sic) (on peut associer le mot en moyen haut allemand « Koppen » au mont Koppenberg près de Hamelin, mais aussi au lieu Kopan en Pologne).
« On appelle le mont près de Hamelin Poppenberg où les enfants disparurent et où sont érigées à gauche et à droite deux pierres en forme de croix. Certains racontent que les enfants auraient été guidés vers l’entrée d’une grotte et seraient ressortis en Transylvanie. »
Ami des enfants, chasseur d’homme et muse
Même si on ne sait pas ce qui s’est passé, les événements de l’an 1284 retentissent jusqu’à notre époque. Ainsi, personne n’a le droit de jouer de la musique dans la rue Bungelose car le joueur de flûte y est passé guidant ses victimes. Les habitants de Hamelin se tiennent encore aujourd’hui à cette contrainte. Ce fait explique le nom de cette rue. En effet, « Bungel » signifie « tambour » en allemand, et accompagné du suffixe « -los », cela signifie « sans tambour ».
700 ans après ces événements historiques, le thème du joueur de flûte de Hamelin est encore présent dans la littérature, l’art et la culture populaire contemporains ce qui ne surprend pas Claudia Höflich. C’est un sujet qui offre de nombreuses interprétations et de variations possibles. Le joueur de flûte peut être vu à la fois comme l’ami des enfants ou comme un chasseur d’homme. On l’associe à la mort et la perdition d’un côté, mais d’un autre côté, il prend le rôle d’un joueur de musique innocent ou bien d’un dératiseur qui s’est fait escroquer. A-t-il sauvé les enfants d’une autre menace ? Les a-t-il conduits à leur perte sans le vouloir ? Les a-t-il tués lui-même ? Tout est possible et cela ouvre un champ sans pareil à la créativité individuelle. En outre, la légende aborde des problèmes de morale : Doit-on accepter une injustice ou se venger ? Il s’agit là d’un dilemme humain et compréhensible par tous touchant à un problème moral universel. C’est sur cette question que se basent beaucoup d’approches artistiques de la légende.
Anthony Khaseria, auteur de la série audio « Le chasseur de rats » sur Audible, est du même avis. Il pense que cette légende, tout comme beaucoup d’autres histoires populaires, déroule un thème universel, celui de peurs humaines profondément ancrées : La peur de la vengeance et la peur de perdre ses propres enfants. Mais la légende du joueur de flûte présente une particularité unique, on y trouve une date et un lieu très précis, ce qui la distingue d’autres histoires. Elle est tirée d’un fait réel, ce qui lui donne un côté plus mystérieux et mythique.
Le dossier du joueur de flûte n’est toujours pas clos à ce jour, ce qui représente un avantage pour les habitants de Hamelin. Le mystère autour des circonstances véritables de cette légende suscite une grande fascination. La petite ville profite des touristes qui, attirés par ce mystère, viennent en grand nombre aujourd’hui encore visiter les lieux. Tous sont tombés sous le charme sinistre de cette légende.
Il en est de même pour l’auteur Anthony Khaseria qui fait comprendre que les contes allemands sont déroutants, déjantés et lugubres. Un fait qui est renforcé quand on réalise que ces contes ont non seulement pour thème les enfants, mais en plus, ils sont destinés à ces derniers. Sans vouloir tomber dans l’analyse approfondie, Khaseria pense que la fascination qu’exercent les thrillers sur nous tous remonte aux histoires pleines de suspense qu’on nous a racontées lorsque nous étions enfants. D’une certaine façon, les contes, les mythes et les textes folkloriques sont aux origines du récit policier.
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