Dans Rien n’est noir, il est d'abord question d’un accident de tramway, qui marquera Frida Kahlo à tout jamais : quelle est l’importance de cet événement dans la vie de l’artiste ?
Frida a une nature de feu follet, de chat sauvage, de jeune fille qui court à l’aventure, et qui veut s’affranchir de tous les obstacles. L’accident qui la cloue au lit comme dans un sarcophage va, paradoxalement décupler cette énergie vitale. Marcher à tous prix, vivre à toux prix. Le goût de la liberté est encore plus sensible quand le corps nous devient une prison.
Le roman parle aussi de ce couple mythique qu’ont formé Frida Kahlo et Diego Rivera. Qu’est-ce qui vous intéressait, dans cette relation ?
J’avais envie d’écrire un roman sur l’amour fou, avant tout. Creuser les couches de complexité, de sublime et de cruauté dans le théâtre de l’amour fou. Diego et Frida en sont un exemple palpitant et écorché. S’aimer, s’élever, s’admirer, mais se détruire et s’humilier. Quel est le ressort d’un tel amour ? C’est ce que j’ai voulu questionner dans Rien n’est noir.
Au fond, ce que raconte aussi ce livre, c’est un amour qui finit par nous définir, un amour ou on finit par ne plus savoir qui l’on est vraiment ?
La violence de l’amour que Frida porte à Diego finit par recouvrir tous les pans de sa vie, c’est presque une névrose. Diego devient l’Alpha et l’Omega de son être au monde à elle. Alors qu’elle est une femme indépendante, insoumise, volcanique… Beau paradoxe à entreprendre pour une romancière. Je ne prétends pas avoir la clé de Frida, mais j’avais envie de rentrer dans cette danse à deux pour le meilleur et pour le pire.
On voit pourtant qu’une chose reste, c’est le dialogue entre les deux « artistes », non ?
C’est passionnant de cerner que le résidu inflexible entre eux, malgré les colères ou les trahisons, c’est l’immense respect et admiration que chacun porte au travail de l’autre. Diego n’aura de cesse de pousser Frida à travailler, à exposer, à voyager pour faire connaître son travail. Ils se sentent partenaires de peinture, dans une égalité saine et rare à cette époque entre un homme et une femme. Et j’avais envie en tant qu’auteure d’explorer aussi ce langage entre deux peintres, un certain langage de la couleur.
Si tout ce que vous racontez est vrai, pourquoi n’avez-vous pas eu envie de faire une biographie de Frida ?
Il existe de magnifiques biographies sur Frida, qui sont des livres que je chéris. Une bio est une approche presque scientifique, universitaire. On doit faire parler les traces de quelqu’un pour reconstituer une vie entière sans tricher, dans un éclairage documentaire. Dans un roman, on peut faire des ellipses, se concentrer sur un fil, une porte de la vie de quelqu’un, on peut imaginer et inventer des dialogues ou des scènes de vie. Il y a une grande liberté de création, même si l’on respecte le matériau biographique pour ne trahir ni son personnage, ni les lecteurs qui nous liront.
De quelle manière vous êtes-vous documentée pour écrire ce roman ?
Depuis vingt ans, je suis une amatrice de Frida, elle fait partie de ma vie. J’ai collectionné avec le temps beaucoup de documents (livres de peinture, bios, correspondances, journal intime etc…) J’avais une matière riche, il fallait que je l’absorbe, pour après, d’une certaine manière, l’oublier, afin de faire corps naturellement avec le personnage.
Où est-ce que vous vous placiez par rapport à cette relation au moment de l’écriture, vous ?
Je suis dans le corps, la bouche, les bras, les sens, les douleurs et les joies de chacun de mes personnages, et ici tout particulièrement, je suis Frida.
Selon vous, qu’est-ce qui fait que les gens se reconnaissent tant dans le personnage de Frida Kahlo ?
Je ne sais pas si l’on se reconnait en elle, mais son énergie face à la douleur ou aux difficultés, et sa capacité à transformer n’importe quel instant en grandiose, nous inspire, je pense, nous porte.
Quelle perspective le livre audio peut donner à ce roman ?
La musique de l’allégresse de Frida. Faire vivre dans la lecture les souffles, les cris, les rires, les claques et les pétards. Comme une chanson, une course des mots !
C’est vous qui prêtez votre voix au récit : quelle expérience c’était ?
Dingue. Un défi incroyable. Un moment suspendu avec la personne qui m’aidait et me guidait. Tous ces mots avec lesquels j’avais passé tant de temps, tous ces personnages… De les lire à haute voix, c’était comme un corps à corps.
Pour finir, un coup de cœur livre à nous partager ?
Je viens de lire Chavirer de Lola Lafon, qui est une explosion. En le fermant, je n’étais pas tout à fait la même qu’en y entrant. J’ai eu envie de serrer le livre et de l’embrasser pour ce qu’il m’avait apporté. Alors je l’ai embrassé.
(Crédit photo : Astrid di Crollalanza)