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Annie Ernaux reçoit le prix Nobel de littérature pour son œuvre

Annie Ernaux reçoit le prix Nobel de littérature pour son œuvre

Annie Ernaux a reçu le prix Nobel de littérature le 6 octobre 2022. C’est la première femme française à recevoir ce prix et la 17e femme depuis sa création en 1901. Mats Malm, le secrétaire permanent de l’académie suédoise, a justifié cette désignation par « le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle révèle les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ».

Aujourd’hui âgée de 82 ans, Annie Ernaux est née en 1940 à Lillebonne en Normandie. Elle grandit dans un milieu social modeste, ses parents étaient ouvriers puis petits commerçants.

Fille unique de parents catholiques, elle est d’abord inscrite dans une école privée catholique pour jeunes filles. Poussée par sa mère, elle part ensuite étudier à Rouen et Bordeaux. Annie Ernaux devient professeure agrégée de lettres modernes en 1971. Elle enseigne pendant quelques années dans différents collèges et lycées et intègre finalement un centre d’enseignement à distance pour lequel elle travaillera jusqu’à sa retraite en 2000.

Qu’est-ce qui rend unique le récit de cette autrice française ? Quelles ont été les influences qui ont marqué son œuvre où se mêlent des thèmes importants comme les relations amoureuses, les parents ou encore l’expérience individuelle ?

Quelque part entre le métissage social et l’autobiographie : Le récit d’Annie Ernaux

Les expériences personnelles de l’autrice jouent un rôle primordial dans ses récits : Sa vie, sa famille, l’ascension sociale se retrouvent dans maintes œuvres. Mais il serait faux de les qualifier de romans purement autobiographiques. En effet, Annie Ernaux écrit de façon impersonnelle et distanciée, atteignant ainsi une validité générale où les lecteurs et lectrices peuvent se projeter. En analysant son propre vécu, elle réussit à rendre impersonnelles ses propres expériences de façon à donner à son récit un caractère social général. Ernaux utilisait au début de sa carrière le « je » narratif, mais celui-ci a peu à peu disparu laissant place à un « je » impersonnel ou à la troisième personne « elle » ou « elles », « on » et même « nous ». Le caractère collectif est ainsi valorisé et fait ressortir « l’autre ». Dans ses textes, le récit est limité par l’étendue du savoir de la narratrice qui n’est que partiellement omnisciente.

Annie Ernaux écrit dans un style très précis et en même temps neutre, volontairement « plat », sans tournure romanesque, pour rester dans la sincérité de la réalité. Ce « non-style » qui est devenu celui de cette écrivaine, peut paraître brut lorsqu’elle décrit par exemple un corps, des maladies ou des expériences sexuelles de façon détaillée. Ernaux révèle dans « Mémoire de filles » de même manière, sans fioriture, la naissance de ses textes :

« J’ai avancé dans l’écriture de ce texte sans me retourner. (…) C’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d’écriture. Déjà le souvenir de ce que j’écris s’efface. Je ne sais pas ce qu’est ce texte. Même ce que je poursuivais en écrivant ce livre s’est dissous. »

Le rapport entre les hommes et les femmes, les inégalités dans leur position et fonction sociale font partie des thèmes principaux abordés, analysés et critiqués par Annie Ernaux. Elle décrit de même la façon le rapport entre les sexes ainsi que les exigences sociales se sont développés au fil de son vécu. C’est dans l’autobiographie à la voix impersonnelle « Les années », sortie en 2008, que l’autrice écrit ces lignes se référant aux événements de 1968 en France :

« Les hontes d’hier n’avaient plus cours (…) On se retournait sur son histoire de femme. On s’apercevait qu’on n’avait pas eu notre compte de liberté sexuelle, créatrice, de tout ce qui existe pour les hommes. (…) Un sentiment de femmes était en train de disparaître, celui d’une infériorité naturelle. »

Annie Ernaux et la sociologie

Annie Ernaux voit l’écriture comme un acte politique et elle a été influencée de façon significative par les écrits philosophiques et sociologiques de Pierre Bourdieu, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Jacques Lacan et Michel Foucault entre autres. L’autrice dévoile ainsi à maintes reprises le regard vigilant et puissant de la société qui forge en particulier les filles et les femmes. La surveillance sociale absolue se base sur l’idée du panoptique de Michel Foucault.

Critique de la société disciplinaire civile : L’influence de Foucault sur Annie Ernaux

Foucault développe l’idée du panoptique dans son ouvrage « Surveiller et punir : Naissance de la prison » paru en 1975. Le philosophe français met en évidence la manière dont les institutions publiques comme les écoles, les hôpitaux ou encore les casernes militaires, surveillent de façon continue et soumettent aux règles les personnes s’y rendant (avec ou sans obligation) et ce jusqu’à ce que ces personnes se plient aux règlements et à la morale requises au sein de ces institutions.

Ces règles sont ensuite transportées vers l’extérieur pour transférer la mise en pratique de cette surveillance et cette discipline sollicitées dans un prochain milieu. Ernaux recourt à ces théories poststructuralistes à maintes reprises dans ses œuvres, surtout lorsqu’il s’agit de thèmes comme la féminité et la femme en devenir. Elle écrit ainsi ces lignes dans « Les années » :

« La honte ne cessait pas de menacer les filles. Leur façon de s’habiller et de se maquiller, toujours guettée par le trop : court, long, décolleté, étroit, voyant, etc., la hauteur de leurs talons, leurs fréquentations, leurs sorties et leurs rentrées à la maison, le fond de leur culotte chaque mois, tout d’elles était l’objet d’une surveillance généralisée de la société. »

Annie Ernaux réussit avec brio à mettre en évidence un des sujets principaux de Foucault, à savoir la relation entre le langage et le pouvoir ou bien la façon dont le discours est ancré dans le pouvoir.

Ainsi, dans le roman « Mémoire de fille », la jeune Annie, à peine âgée de 18 ans, est l’objet de mépris pour des jeunes femmes marquées d’une différence éclatante de supériorité et d’absence de consensus, qui viennent de faire leurs premières expériences sexuelles et qui lui font ressentir les différences sociales tout en l’excluant du groupe. Il aura fallu 50 ans pour que l’autrice puisse écrire à propos de cet événement si percutant pour elle et qui, selon, Foucault correspondrait à la reproduction de l’ordre social existant.

« (…) ni quel refus méprisant lui a été renvoyé pour qu’elle adresse à Monique C. cette supplication : « On n’est pas copines, alors ? » Et que Monique C. rétorque avec violence, une espèce de répulsion : « Ah ! non ! On n’a pas gardé les cochons ensemble ! » Je me passe et repasse la scène dont l’horreur ne s’est pas atténuée, celle d’avoir été aussi misérable, une chienne qui vient mendier des caresses et qui reçoit un coup de pied. »

Ce sont des déclarations comme celle-ci qui génèrent une prise de conscience de l’autrice de plus en plus aiguisée des classes sociales, ce qui se manifeste dans des descriptions précises sous forme d’énumération rappelant le concept d’habitus du sociologue Pierre Bourdieu.

Considération ethnographique « des distinctions » : Annie Ernaux et l’habitus

Dans son ouvrage principal « La distinction – critique sociale du jugement », paru en 1979, le sociologue Pierre Bourdieu décrit de quelle manière le volume de capital possédé (sous toutes ses formes : social, culturel, économique et symbolique) influence notre position dans l’espace social. C’est la forme d’un habitus précis qui dévoile quelle position nous occupons dans cet espace social – notre tenue, notre apparence, notre vision du monde et notre goût.

S’inspirant de l’ouvrage principal de Bourdieu, Annie Ernaux décrit le milieu d’où elle vient, milieu marqué par la religion catholique dans un environnement paysan. Elle éprouve un fort désir s’en détacher et va de par ses études et ses nouvelles connaissances accéder à une classe sociale bourgeoise. Ayant effectué une sorte de migration entre deux classes sociales, Ernaux se trouve perdue quant à sa place dans la société. Son écriture devient alors une recherche ethnologique de soi, elle se dit « ethnologue d’elle-même ». Elle dessine son milieu social d’origine dans son roman « Les années » avec ces mots :

« (…) s’essuyer les lèvres avec un morceau de pain, (…) Faire tout avec brusquerie (…) pour les hommes l’usage continuel des épaules transportant la bêche, des planches et des sacs de pommes de terre (…) mourir dans son lit (…) ne pas réclamer la lune (…) »

Ernaux possède à ce moment-là une représentation détaillée du milieu social tant désiré au sein des élites intellectuelles et créatives. Pour elle, l’ascension sociale se dessine alors autant dans la possession de certains biens de consommation comme une table paysanne achetée hors de prix chez un antiquaire que dans certaines façons de se comporter et dans certains sujets de conversation.

« Les conversations s’engageaient sur (…) la méthode Mézières, la méthode Rogers, le yoga, la naissance sans violence de Frédéric Leboyer, (…) On s’interrogeait s’il était (…) utile de faire du yoga, une thérapie de groupe, utopique de travailler seulement deux heures par jour, si les femmes devaient réclamer l’égalité avec les hommes ou l’égalité dans la différence. (…) De s’exprimer : poterie, tissage, guitare, bijoux, théâtre, écriture. (…) Tout le monde se réclamait d’une activité artistique ou projetait d’en avoir. »

Annie Ernaux perçoit l’ascension sociale comme une voie pour sortir des limites affligeantes que la féminité impose ce qui est conçu pour la reproduction et selon Ernaux signifie la fin de toute créativité et de forme d’expression individuelle. Elle écrit que le rôle de la mère et celui de l’intellectuelle ne sont pas conciliables. Ce sont ses études supérieures qui l’aident à se détacher de son milieu social d’origine.

L’œuvre d’Annie Ernaux traite autant de sa volonté et de ses efforts de passer à une classe sociale aisée que de la honte et les tourments liés à cette ascension. Elle met ainsi en avant des thèmes qui n’ont de nos jours aucunement perdu d’importance vu que les inégalités sociales grandissantes.

L’œuvre d’Annie Ernaux : Ces romans sont parus en livres audio

En 1974 est paru le premier livre d’Annie Ernaux « Les armoires vides ». Elle a écrit depuis plus de vingt livres qui ont été récompensés par de nombreux prix dont le prix Renaudot pour « La place », les prix Marguerite Duras et François Mauriac pour « Les années » et bien sûr dernièrement le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre.

La femme gelée

La femme gelée (1981) : Le récit décrit en détails la manière dont Annie Ernaux s'est construite. Partie d'une éducation avec des parents totalement atypiques qui avaient des rôles détachés des stéréotypes habituels de l’époque, Ernaux était consciente des pièges de la situation des femmes à son époque et semblait bien préparée pour ne pas y tomber. Les parents, surtout la mère, souhaitaient que leur fille unique puisse s‘épanouir et se réaliser dans la liberté et les études. Mais Annie Ernaux s’est retrouvée prise en étau entre les contradictions auxquelles elle était confrontée quotidiennement et son goût pour la liberté, son appétit intellectuel la poussant vers un autre idéal de vie, plus égalitaire entre les hommes et les femmes. On comprend comment, insidieusement, elle est devenue une femme gelée dans tous ses élans.

Dans un style simple, neutre et pourtant d’une précision surprenante, Annie Ernaux nous offre une description sincère et réaliste de la condition des femmes dans les années 50 à 70 et de son évolution personnelle à travers cette époque.

La place
La honte

La honte (1997) : « La honte » est un ouvrage court et dense. Il commence par un événement marquant dans la vie d’Annie Ernaux. Il s’agit de la scène d’une violente dispute entre les parents, le dimanche 15 juin 1952, à midi : « Mon père a voulu tuer ma mère. » Cet événement a marqué un tournant dans sa vie. Au fil du récit, elle essaie de se remémorer le passé et effectue des recherches sur le contexte de l’époque pour comprendre ce qu’elle avait pu ressentir à ce moment-là. Le roman décrit des faits, des lieux, rassemble des souvenirs et surtout, dresse avec précision la peinture d'une époque, d’un milieu social, d'une d’école qui tiendra une grande place dans la vie d’Annie Ernaux. Il nous livre un tableau complet et détaillé de la société qui a vu grandir Annie Ernaux. Il ne traite pas la honte elle-même, mais la naissance de la honte, ce qui fait de ce récit un ouvrage fondamental pour saisir l’œuvre d’Ernaux.

Les années
La place
Les années
Mémoire de fille

Annie Ernaux : Un aperçu de tous ses romans

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