Qu’est-ce qui pousse des gens à croire à des choses pourtant invraisemblables ? Aux malédictions, à la communication avec les morts, à la possession de son corps par un esprit maléfique ? Une chose est sûre : quand on grandit dans une famille pour qui les fantômes et les démons font partie du quotidien, des parents, oncles et tantes persuadés d’avoir un accès privilégié avec l’au-delà, rien ne nous surprend vraiment.
L’histoire d’Alice, dans le dernier épisode de Transfert, est complètement déroutante. A commencer par son enfance, dans une famille très pauvre, qui n’a rien de banal. A l’âge de dix ans, alors que son père fou lui raconte qu’il s’est battu toute la nuit avec des démons, sa mère lui propose une séance de ouija avec son beau-père.
La petite fille voit alors le verre se mouvoir le long des lettres inscrites sur le carton. “C’est très bizarre parce que chacun de nous trois a le doigt posé sur le verre. J’observe très attentivement ce qu’il se passe.” Plus loin, elle ajoute : “Le verre se déplace de manière un peu saccadée, des petits glissements. Je n’ai pas l’impression que qui que ce soit le fasse bouger. Je sens que mon doigt est un peu engourdi, c’est une sensation très particulière.” Pour elle, aucun doute : les morts parlent.
Les séances de spiritisme reprennent quand la narratrice atteint l’âge de quinze ans. Elles se pratiquent surtout en famille, jusqu’au jour où Alice poursuit l’aventure seule. Normalement, il est impossible de communiquer seul avec les morts, mais l’adolescente y parvient pourtant. “Je suis extrêmement fascinée par l’idée d’avoir un lien privilégié, unique avec un esprit qui accepte de parler avec moi”, explique-t-elle.“C’est un peu la prophétie de ma famille qui se réalise, quant au pouvoir que j’ai de communiquer avec les morts d’une façon spéciale.”
Cette aptitude à communiquer avec l’au-delà, c’est une affaire de famille, qui se transmet de génération en génération : un véritable pouvoir pour ses proches qui, plongés dans une grande misère financière, sont fiers de jouir d’une certaine supériorité sur les autres.
Ce qui était un simple passe-temps devient une obsession. La jeune Alice passe ses soirées, entre les devoirs et le dîner, à discuter avec des esprits. Effrayée à l’idée qu’on la prenne pour une folle, elle n’en parle pas à ses amies. Cette activité l’absorbe même tellement qu’elle se fait plus rare au lycée, au point qu’on la considère comme phobique scolaire…
Si cette histoire est extraordinaire, c’est d’abord parce que le talent de la narratrice réussit à nous procurer quelques frissons. Mais ce n’est pas tout : ce premier récit cache d’autres réflexions, notamment sur les troubles mentaux et sur les inégalités sociales.
On découvre que plusieurs personnes peuvent, en toute bonne foi, se raconter des histoires pour mieux s’échapper de leur condition. Et que si les pouvoirs magiques se transmettent de génération en génération, les troubles mentaux peuvent aussi être héréditaires...
Cette histoire est aussi celle d’une jeune fille qui, une fois parvenue à l’âge adulte, prend ses distances avec les croyances de ses parents. En même temps qu’elle change de classe sociale grâce à ses études, Alice pose un regard différent sur sa propre famille et sur ce qu’elle avait pris pour acquis pendant toute son enfance.
Un podcast aussi fascinant que surprenant, à écouter seul.e dans le noir...
Vous avez toujours rêvé de connaître les péripéties secrètes du couple de vos bruyants voisins, ce qui a transformé la personnalité de votre cousin, la raison pour laquelle votre collègue n'arrive plus à faire confiance à personne. Toutes les deux semaines, Transfert vous raconte une histoire vraie, excitante, prenante, émouvante, et en creux le monde moderne et ceux qui l'habitent.
Épisode 81 :
Dans les toutes premières lignes de son essai Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet décrit sa fascination pour ces créatures. Elle évoque les sorcières des Disney, celles de romans nordiques. "Elles fouettaient l’imagination, procuraient des frissons de frayeur délicieuse, donnaient le sens de l’aventure, ouvraient sur un autre monde. Pendant la récréation, à l’école primaire, mes camarades et moi traquions celle qui avait élu domicile derrière les buissons de la cour, obligés de nous en remettre à nous-mêmes face au flegme incompréhensible du corps enseignant. La menace flirtait avec la promesse. On sentait soudain que tout était possible, et peut-être aussi que la joliesse inoffensive, la gentillesse gazouillante n’étaient pas le seul destin féminin envisageable. Sans ce vertige, l’enfance aurait manqué de saveur. (...) La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations ; elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie."
Peut-être avons-nous tous et toutes eu, dans notre enfance, une sorcière? La promesse d’un peu de magie quand le monde en manquait. D’un pouvoir dans l’impuissance apparente. C'est une histoire de sorcellerie et de famille que raconte Alice au micro de Maud Benakcha.
Cet épisode a été mixé par Jean-Baptiste Aubonnet. La musique est de Maxime Daoud. Maureen Wilson était à l’édition et à la coordination.