Qui était Jean Teulé ?

Jean Teulé était avant tout un dessinateur. Ce n’est que par la suite qu’il est devenu chroniqueur, poète et écrivain.

Jean Teulé naît en 1953 en Normandie, d’un père charpentier-menuisier et d’une mère femme de ménage. La famille, étiquetée « rouge » (communiste), est contrainte de déménager par la suite dans la région parisienne. Tout d’abord dessinateur particulièrement doué, le compagnon de l’actrice française Miou-Miou se retrouve dans le monde de la télé pendant quelques années et devient enfin l’écrivain atypique qu’on sait. Jean Teulé meurt le 18 octobre 2022 d’un arrêt cardiaque à la suite d’une intoxication alimentaire. Il laisse en héritage la richesse d'une œuvre hors norme, savamment conçue à partir d'histoires légendaires et fantastiques.

Jean Teulé, dessinateur

Alors qu’il est médiocre à l’école, un prof de dessin découvre son talent de dessinateur et l’incite à s’inscrire à l’école de l’art. Là, un auteur de bande dessinées le remarque et le fait entrer à L’Echo des Savanes, une revue de bandes dessinées créée entre autres par Claire Bretécher au début des années 1970. Il devient rapidement un pilier de ce célèbre magazine. Le talentueux Jean Teulé se fait vite un nom dans le domaine de la bande dessinée et est primé au Festival d’Angoulême en 1984 pour son adaptation de « Bloody Mary » de Jean Vautrin. Son œuvre dessinée la plus sensationnelle est son album intitulé « Gens de France et d’ailleurs ». Il reçoit un prix spécial au Festival d’Angoulême 1989 pour ce recueil de reportages, une composition de dessins, photographies retouchées et gravures offrant des reportages et portraits sur des personnes en marge de la société, hors du commun, se trouvant parfois à la limite de la folie. Son style est d’une originalité farouche qui se retrouve également dans ces romans.

Jean Teulé, écrivain

Venu de l’univers du dessin, Jean Teulé passe par l’audiovisuel avant d’arriver à l’écriture. Teulé découvre par hasard les poètes Rimbaud et Verlaine en écoutant une chanson qui en parlait. Dès lors, Teulé développe une véritable passion pour les grands poètes et la littérature française. Son premier roman « Rainbow pour Rimbaud » paraît en 1991. Teulé y décrit Robert, un personnage obsédé par le poète Arthur Rimbaud dont il connaît l’œuvre et la vie sur le bout des doigts. En plus de l’engouement pour ce poète célébrissime, on découvre dans cet ouvrage d’autres caractéristiques de Teulé : son humour, sa fantaisie et surtout son univers marginal. Jean Teulé crée son style d’écriture bien à lui, empreint de sa façon de voir à travers les dessins. En effet, sa manière précise et singulière de décrire des scènes, des instants, des personnages rend la plume de Teulé unique en son genre. Il crée aussi des histoires hors du commun, sans lésiner sur le vocabulaire, toujours cru et réaliste. Son humour, souvent noir et décapant, et sa verve parfois crue consolident son style inimitable. Après sa mort, son art de raconter et sa plume alerte continuent de faire sourire même dans les moments les plus tragiques. Ses récits soutenus par des personnages hauts en couleur que l'on s'attache à aimer, comprendre ou détester, nous étonnent et fascinent encore à chaque lecture ou écoute.

Ses romans historiques

Pour apprécier ces ouvrages, il vaut mieux ranger au placard affection et délicatesse et se vêtir d’une armure pour être prêt à affronter horreur, inhumanité et fléau dans ses récits. Une chose est sûre, s'emparer d'un fait historique et le faire revivre dans les moindres détails fait partie des grands atouts de Jean Teulé. Pour ses romans historiques, l’auteur ressort souvent des évènements historiques passés aux oubliettes (« Azincourt par temps de pluie ») pour nous les narrer à sa façon. Il refait l'Histoire à sa manière : décalée, délirante et débridée.

Bien que soigneusement documentés, les romans historiques de Teulé font sans doute bondir les historiens les plus rigoristes, tant il verse en permanence dans l'excès et la caricature. Tout de même, Teulé effectue des recherches minutieuses avant chaque roman, il conte avec une verve échevelée, s'appuyant sur une solide documentation. On ressent à chaque chapitre son travail dans le domaine de l’Histoire mais aussi à travers la richesse de langue toujours adaptée à la période historique concernée : Les romans historiques sont pour l’écrivain l’occasion de s’en donner à cœur joie dans l’alliance entre langue de l’époque et langue contemporaine (en particulier dans « Je, François Villon »), un cocktail propre à l’auteur qui nous surprend et épate à chaque reprise.

Un autre très grand atout de Teulé sont ses connaissances approfondies en sociologie, religion et politique. Il en profite d’ailleurs pour critiquer à coup de phrases piquantes la société, et en particulier la religion catholique (« Héloïse, ouille »).

Le style de Jean Teulé est un style reconnaissable entre tous : de l'humour, un langage fleuri et des anachronismes amusants, un humour noir, une façon de s'adresser aux lecteur et lectrices comme s'ils étaient présents, sans pour autant perdre en qualité littéraire, des mots justes, des faits mis en images, un vocabulaire choisi et d'époque accolé à des expressions très contemporaines… Ce mélange exceptionnel fait de Jean Teulé un écrivain inclassable.

Dans la lignée de nombre de ses romans, Jean Teulé nous conte de manière romancée avec sa plume reconnaissable des évènements historiques réels. Ce sont souvent les petites histoires qui font l’Histoire et Teulé nous en donne des exemples :

Je, François Villon (2006)

A partir des quelques informations disponibles sur le personnage et d'une connaissance approfondie du contexte, Jean Teulé parvient à brosser un portrait attachant et rocambolesque de François Villon, poète médiéval. En 1431, alors que Jeanne D’arc a brûlé sur le bûcher ennemi, celui qui allait devenir un grand poète voit le jour. François Villon ne connaît pas longtemps sa mère, il est rapidement confié à un chanoine. François, alors destiné à la tonsure et l'étude juridique, est un jeune homme turbulent et un élève médiocre. Très tôt s'éveille en lui la passion du verbe et de la composition, François devient poète. Mais il ne ravit pas les cours des puissants avec son talent. Ce qu'il veut, c'est chanter la liberté et François mène bien vite une vie dissolue, devenant brigand et même assassin. Les textes de Villon sont faits de tourments, de révoltes et la mort y est omniprésente. Il apprend la langue argotique des criminels et devient celui qui rime les pires faits et chante les crimes les plus hideux. Jean Teulé dresse à côté de la vie de Villon un portrait fidèle et documenté d'une époque à la fois truculente et barbare.

Je, François Villon

Le Montespan (2008)

Nous suivons la biographie romancée de Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan, depuis sa rencontre avec la magnifique Françoise de Rochechouart de Mortemart qui deviendra son épouse et lui donnera deux enfants. Devenant ensuite, et pendant longtemps, la favorite du roi Louis XIV, la marquise fera malheureusement de son époux, le cocu le plus célèbre de France. L'auteur brosse un portrait touchant et sympathique du marquis, mari amoureux qui n'a jamais pu accepter que le roi de France devienne l'amant de sa femme. Impossible de s'ennuyer en suivant son épopée amoureuse, les chapitres sont courts, le ton enlevé est un brin coquin. Ce roman a reçu le prix de la Maison de la Presse en 2008, c’est une histoire racontée avec drôlerie, mais sans cacher la dureté des mœurs l'époque. On découvre les petites perfidies à la cour, on imagine les odeurs pestilentielles, on fronce le nez de dégout, on sourit… Une écoute irrésistible.

Le Montespan

Fleur de tonnerre (2013)

Fleur de tonnerre, c'est le surnom donné par sa mère à Hélène Jégado quand elle était petite. Dans la Bretagne du XIXème siècle, l'enfant, bercée de légendes et de croyances celtiques, se prend pour l'Ankou, une personnification de la mort, qui avec sa faux tue les gens croisant son chemin. A la fois apeurée et fascinée, l’enfant à esprit fragile s'identifie au personnage. Devenue cuisinière, elle parcourt alors la Bretagne pendant plus de quarante ans, mijotant son excellente soupe aux herbes. Mais ceux qui la goûtent, souffrent peu après de terribles crampes d'estomac. Elle offre ses préparations à tout son entourage, sans distinction, du nourrisson à l'agonisant. Lorsqu'on la soupçonne trop, elle change tout simplement de ville. Hélène Jégado aura finalement tué une soixantaine de personnes, à commencer par sa propre mère. Dans toute cette horreur se mêle à merveille la poésie et l'humour de l’auteur. Dégoût, sourire, indignation, surprise, vous passerez par tout un éventail d'émotions durant tout le récit !

Fleur de tonnerre

Héloïse, ouille (2015)

Jean Teulé se penche dans ce récit sur une histoire d'amour peu ordinaire, celle que vécurent au XIIe siècle Héloïse et Abélard. Héloïse est une belle et séduisante jeune fille, très cultivée pour son âge et son sexe. Abélard est un grand philosophe et théologien de renommée pour la sagesse de ses enseignements. On lui propose justement de faire bénéficier de ses connaissances la jeune fille en tant que précepteur. S'en suit une histoire d'amour passionnée au cours de laquelle les deux amants se livrent avec ardeur aux plaisirs sexuels. Mais aimer Héloïse a un prix, et il sera douloureux pour le pauvre Abélard : ce n'est pas pour rien que le roman s'intitule « Héloïse, ouille ! ». Leur amour n’étant pas accepté, les deux amants séparés se lancent alors respectivement dans une carrière religieuse. On retrouve ici tous les éléments de style de Jean Teulé : un mélange entre le vocabulaire du Moyen Age et un langage plus moderne, une façon crue d’exposer les scènes de sexe ou de torture et son humour mordant faisant contre-poids à la gravité des faits racontés. Accrochez-vous ! (Suivi d’un entretien avec l’auteur !)

Héloïse, ouille ! Suivi d'un entretien entre Jean Teulé et Dominique Pinon

Entrez dans la danse (2018)

Epidémies, canicule, famine, menace d'invasion, le sort s'acharne sur Strasbourg en cet été 1518, et voici qu'une jeune mère infanticide se met à danser son désespoir, bientôt rejointe par une foule de danseurs et de danseuses. Strasbourg se met à danser et ne s'arrête plus pendant des semaines. Personne ne sait d'où vient cette frénésie de mouvement qui s'empare tout autant des pauvres que des bourgeois. Est-ce une épidémie, une malédiction ? Pendant un moment, on en vient à oublier la famine et la menace turque. À partir d'un fait divers bien réel, Jean Teulé reconstruit une époque avec pour fond de toile le décor du Strasbourg de 1518 et cette fameuse danse a bien été documentée par l'Histoire. « Entrez dans la danse » est sans aucun doute du Teulé dans toute sa splendeur. L'auteur s'est lâché comme jamais dans le sordide tout en produisant une charge satirique envers l'Eglise et le pouvoir civil. On retrouve la plume inimitable de l'auteur, alliant vieux langage populaire et l'argot contemporain, un anachronisme vivifiant.

Entrez dans la danse

Crénom, Baudelaire ! (2020)

Partons à la découverte de ce Baudelaire détestable et antipathique. Le talent de Jean Teulé est tel qu'il finit par nous faire aimer ce poète scandaleux, inadapté à son époque. A travers une vie de débauche et de vices, il laisse entrevoir le génie sublime d'un poète tourmenté. Sa souffrance provoquée par la syphilis, son addiction aux drogues le rendent vulnérable. La misanthropie et le vice de Baudelaire n'enlève rien à la beauté de son œuvre et on apprécie davantage « Les fleurs du mal » en comprenant sa genèse. Jean Teulé sait retracer une époque et son ambiance, on se retrouve dans un Paris bouleversé par les travaux d'urbanisation d’Haussmann, on croise de nombreux artistes comme Manet. Le récit est rythmé et mêle le parler de l'époque à des tournures contemporaines. Quelques extraits de « Fleurs du mal » sont parsemés ici et là, accompagnés de petites anecdotes et d’humour qui rendent le tout très vivant. Avec « Crénom, Baudelaire ! », Jean Teulé met brillamment en scène un grand poète du XIXe siècle sous une lumière particulière.

Crénom, Baudelaire !

Azincourt par temps de pluie (2022)

Azincourt, un joli nom de village et le vague souvenir d'une bataille perdue. Ce 25 octobre 1415, il pleut sur l'Artois. Quelques milliers de soldats anglais, fatigués et malades, qui ne songent qu'à rentrer chez eux, se retrouvent pris au piège par des Français en surnombre, armés jusqu'aux dents. Ces Français ont bien l'intention de se couvrir de gloire, dans la grande tradition de la chevalerie française. Aucun n'en reviendra vivant. Les pieds dans la boue, nous assistons à un désastre inattendu. Azincourt restera gravé dans la mémoire collective comme l'une des plus grandes et des plus étranges défaites françaises. Cet ouvrage décrit une abominable journée de sang et d'effroi où l’auteur parvient malgré tout à glisser quelques touches d'humour, de l’humour noir à son habitude. Et il ne mâche pas ses mots pour décrire la boucherie, les exécutions, les membres arrachés… Un roman historique à la sauce Teulé.

Azincourt par temps de pluie

Ses romans humour noir, fantastiques

« Je ne lis pas de romans. Je n’en lisais pas avant d’écrire, et je n’en lis toujours pas »

Déjà rêveur à l’école, Jean Teulé a trouvé sa voie dans le roman où humour, fantaisie et univers volontiers décalé cohabitent. Teulé emploie une langue à la fois sombre et drôle et se déchaîne parfois, heurtant ainsi certains littéraires conservateurs. Voici deux histoires que Teulé nous conte avec beaucoup d’esprit : « Le magasin des suicides » qui a trôné en tête des ventes de livres et a été adapté à l’écran par Patrice Leconte, et « Gare à Lou ».

Le magasin des suicides (2007)

Au tout début du livre, Jean Teulé nous plonge dans son récit de façon assez déconcertante : On est immédiatement propulsé tête la première dans un univers plutôt glauque, avec des personnages particuliers, très originaux. En effet, c’est la famille Tuvache qui nous accueille. Cette famille tient le magasin des suicides, une boutique pas comme les autres, depuis des générations et elle est sûre d'être investie d'une mission : celle d'aider les gens à mourir. L'affaire familiale se porte bien, les clients sont nombreux. Cette famille n’est pas très accueillante, elle ne sourit jamais, et paraît plutôt lugubre. Mais dans toute cette noirceur, le cadet Alan, lui, croit en un monde beau et magique au grand regret de ses parents qui font tout pour le rendre déprimé. Alan va faire basculer l'esprit morbide qui règne dans la maison et va insuffler un vent de bonheur et de joie dans le magasin et sur ses habitants. Le récit nous plonge certes d’un côté dans un univers sombre fait de douleurs, de tristesse, de noir et de deuil, mais le sujet sérieux est tellement pris au troisième degré qu'il devient vraiment drôle, Jean Teulé utilise à ses fins l’humour noir et le sarcasme. Un chant d'amour à la vie.

Le magasin des suicides

Gare à Lou (2019)

C'est toujours un plaisir d’écouter un roman de Jean Teulé, car on est d'avance assuré de passer un bon moment. Avec « Gare à Lou ! », il nous narre les exploits plutôt surprenants d'une adolescente, pas très bien intégrée dans son collège, qui se découvre un don particulier : Dès qu'elle désire quelque chose, cela se produit en réalité. Ce qui ne va pas manquer d'intéresser l'armée et le président de la République lui-même, hautement hypocondriaque. Et la voilà embringuée dans une affaire d'état, au sens propre du terme. Il y a donc beaucoup d'humour et de fantaisie dans ce roman, aux allures futuristes. Cette petite Lou aux pouvoirs surprenants est comme un écho au petit garçon du « Magasin des suicides ». Jean Teulé dénonce la cruauté de ceux qui abusent de leur pouvoir et les rend ridicules grâce à Lou transformée en arme. Et puis il y a ces lieux improbables qui deviennent familiers, comme le quartier de la Tour de l'incendie, le bar des sanglots ou encore le palais présidentiel sous forme de boule à neige géante. Une histoire pleine d'imagination autant dans les faits, que dans les décors et les personnages. Une histoire pleine d'extravagance et de poésie.

Gare à Lou !