Comment est née l’histoire de Il était deux fois ?
La « naissance » d’une histoire est toujours le résultat d’un processus complexe, car il faut de nombreux éléments, dont les personnages, les lieux, l’époque, et évidemment, l’intrigue ! Parfois, un livre naît d’un lieu qui nous inspire, ou d’une idée de base forte qui constituera les premières lignes du récit.
Il était deux fois est née d’une idée de personnage. Au gré de recherches sur Internet, je suis tombé sur un type d'amnésie très particulier, "l'amnésie psychogène rétrograde", c'est à dire les personnes qui oublient tout un pan de leur vie, suivant à cause d'un événement traumatique. Vous pensez vous réveiller le jour de vos 18 ans, vous en avez en réalité 40 ! Lorsque j'ai découvert que des gens pouvaient souffrir de ce trouble (peu de personnes au monde en fait), je me suis dit que je tenais un personnage très fort, avec qui on va avoir envie de partager des émotions, et que l’on va aimer suivre dans une aventure complexe. Tout le reste a découlé de ce personnage…
Dans ce nouveau roman, on suit le lieutenant Gabriel Moscato, qui sera un support de l’histoire : À partir de quoi créez-vous vos personnages ?
Cette question complète bien la précédente. Car tenant la caractéristique principale de mon personnage (une personne qui se réveille un matin, pensant être en 2008 alors qu’on est en 2020, et qui a donc oublié 12 ans de sa vie !), il fallait inventer tout le reste ! Ce personnage devrait être au cœur du tout le récit. Et comme j’écris des histoires policières, ça semblait logique qu’il soit enquêteur. Ayant imaginé une petite ville perdue dans une vallée, j’ai choisi un gendarme, ce qui est plus logique. Pour renforcer la détresse de Gabriel Moscato, son sentiment que le monde s’effondre autour de lui, et comme je suis un horrible personnage (!!), je me suis dit qu’il allait enquêter sur la disparition de sa propre fille. Il la croit disparue depuis 15 jours, mais ça fait 12 ans, en réalité. Imaginez l’enfer qu’il traverse…
Qu’est-ce que vous essayez de créer lorsque vous écrivez ?
Il y a d’abord le cadre, ce qui englobe ce genre de récit à suspense. Je veux dire, le décor, l’ambiance, qui est pour moi l’un des éléments clés. C’est l’atmosphère qui va emprisonner le lecteur dans votre histoire, qui va le transporter dans votre monde imaginaire. Ensuite, on l’a compris, le ou les personnages forts, dont le monde s’écroule, mais qui vont réussir à surmonter les obstacles dressés devant eux pour s’en sortir. Il y a évidemment, l’intrigue en elle-même, qui doit être complexe, recherchée, originale, implacable… J’aime bien aussi cette notion de « continuité dans l’œuvre », de relier certains livres entre eux, de cacher des indices, pour rendre l’univers très personnel, unique. Les lecteurs de thrillers sont très friands de ça.
Dans Il était deux fois, on est plongé.e dans un véritable thriller, avec une construction implacable, qui se doit de tenir du début à la fin pour que l’on y croie. Qu’est-ce qui explique cet attachement à ces codes - contraignants - en tant qu’écrivain ?
Il est vrai qu’écrire un thriller implacable, qu’on n’a plus envie de lâcher, est extrêmement compliqué. Certains parlent de « page turner », de recettes qu’on appliquerait simplement pour que ça fonctionne, comme terminer des chapitres sur des accroches qui nous poussent à lire la suite. Mais n’est-il pas compliqué d’écrire un livre de 500 pages, avec 60, 70 chapitres, dont chacun d’entre eux relance l’intrigue de façon inattendue, ou génère de la peur et de l’angoisse ? Il n’y a pas de recettes, sinon tout le monde l’appliquerait. Il y a juste du travail, de la création recherchée et complexe, et, comme vous dites, de nombreuses contraintes dont il faut tenir compte pour que l’histoire fonctionne : précision, rythme, recherches, crédibilité… Les lecteurs de polars sont connaisseurs et intransigeants, ils ont besoin de surprise, de dépaysement, et de vivre de nombreuses émotions qui vont faire de leur lecture un voyage intense.
Il était deux fois reprend aussi les secrets distillés dans Le manuscrit inachevé, mais il peut évidemment se lire indépendamment. Pourquoi avoir décidé de faire dialoguer certains ouvrages entre eux malgré tout ?
Les lecteurs de thrillers ou de romans à suspense adorent mener l’enquête, observer, relever des indices. Un thriller, c’est une espèce de jeu qui s’installe entre un lecteur et un auteur. Quand on lit Il était deux fois, en ayant lu Le manuscrit inachevé, il se dégage une jouissance encore plus forte dans la lecture. C'est une sorte de cadeau que j'ai fait à mes fidèles lecteurs qui aiment mon univers complexe et torturé. Les nouveaux lecteurs, eux, ne décèleront pas cette couche cachée mais cela ne gâchera en rien leur lecture.
Il était deux fois apporte également la réponse à toutes les questions que les lecteurs du Manuscrit inachevé ont pu se poser, et qui avaient suscité de nombreux débats passionnés ! J’adore quand un livre soulève ce genre d’interrogations chez mes lecteurs, car de ce fait, il continue à exister.
Il y a 5 ans, vous avez publié Pandemia, formidable anticipation de ce que l’on vit actuellement : comment rendre des histoires comme celles-ci aussi plausibles et proches de la réalité ?
Beaucoup de travail de documentation, de rencontres avec les spécialistes, de « vulgarisation », c’est-à-dire d’essayer d’expliquer simplement des choses compliquées. Quand j’aborde un sujet (les virus pour Pandemia), je le creuse à fond. À l’époque, j’étais même allé à la rencontre des chercheurs de l’Institut Pasteur de Lille, afin d’être le plus précis possible, et de m’assurer que le scénario que j’imaginais était plausible. Autrement dit, cette histoire pourrait-elle un jour se réaliser dans notre vrai monde ? Le Covid19 en a apporté la preuve, quelque part…
Est-ce que la force de vos livres, justement, n’est pas de perdurer grâce à vos histoires universelles, qui, à leur manière, nous extirpent du monde ?
Il y a un peu de cela, oui. Les sujets abordés, comme la violence, la trahison, la pauvreté, le profit… sont des sujets propres à notre humanité. Ils parlent à tous les peuples, toutes les générations et traversent le temps. La force des livres vient également des personnages, qui sont à la fois des héros (au sens où ils ont des destins à part et qu’ils surmontent des épreuves compliquées), mais aussi des personnages de tous les jours, proches de nous, à notre image.
Est-ce que vous écrivez les thrillers que vous auriez aimé lire ?
C’est toujours prétentieux, je trouve, de dire qu’on écrit les histoires qu’on aimerait lire. Ça voudrait dire que, depuis que les créateurs d’imaginaires existent, avec tous les livres, films, séries qui sont sortis depuis des décennies (voir des siècles pour les livres), on n’aurait jamais trouvé son bonheur ? Il faut se dire que toutes les grandes histoires, les grandes tragédies ont déjà été écrites et que nous, aujourd’hui, nous amenons notre univers, nos personnages, notre style. J’écris surtout des thrillers qui me permettent de creuser des sujets forts ou de créer des situations particulièrement complexes, dont je sais qu’elles plairont aux lecteurs. Après tout, c’est pour eux que les romanciers écrivent.
Et d’ailleurs, quelle serait votre recette pour un bon thriller ?
Les deux éléments les plus importants sont pour moi un personnage très fort qu’on a envie de suivre, et une histoire à la fois complexe et originale. Le thriller, c’est l’art du rebondissement, de la surprise, du drame, c’est une montagne russe d’émotions. À cela rajouter un décor, une atmosphère, et un tas d’autres éléments qu’il serait inutile de citer ici, parce que c’est aussi une question de feeling. J’ai moi-même, un jour, acheté un livre sur « comment écrire de bons scénarios » et ça ne m’a servi strictement à rien, parce qu’on essayait de me faire entrer dans un moule et que ça bridait mon imagination. Le feeling, c’est important.
Vous publiez régulièrement des livres, mais avez-vous des habitudes d’écriture ?
Je dirai davantage de la discipline. Écrire un thriller demande beaucoup de temps, de travail, de rigueur. Et puis, c’est mécanique, mais écrire 600 pages prend plus de temps que d’en écrire 300. Pour ma part, je suis connecté à mon roman en cours d’écriture toute l’année, que ce soit par les recherches, l’élaboration du plan, l’écriture en elle-même. Ce sont donc des journées complètes consacrées à ce travail et niveau rythme, on va dire que j’ai gardé celui de l’entreprise, genre 8h-17/18h.
En quoi le livre audio se prête particulièrement bien à vos livres ?
J’ai une écriture très sensitive, qui fait beaucoup travailler notre imaginaire et qui génère des images, ce qui est assez logique, car c’est davantage le cinéma qui m’a mené sur ce chemin que la lecture. Lorsque j’invente un chapitre, je raisonne en images, en sons, en sensations. J’utilise des phrases assez courtes, rythmées, avec juste les dialogues nécessaires pour servir mon intrigue. Tout cela se retranscrit parfaitement à l’audio.
Êtes-vous déjà en train de préparer votre prochain livre ?
Oui, depuis octobre dernier ! ça peut paraître étrange, mais je termine souvent mes romans qui sortent en mai/juin à l’automne précédent. Cela nous permet, avec ma maison d’édition, de bien travailler le texte pour qu’il soit le meilleur possible le jour de la sortie. Avec le confinement, j’ai écrit comme jamais, et j’ai donc très bien avancé dans mon écriture !
Auriez-vous un coup de cœur à nous conseiller ?
Michel Bussi, Au soleil redouté, c’est une belle invitation au voyage sur une île de rêve (les Marquises) et on a besoin d’évasion avec les temps qui courent ! Et puis, lire un de ses livres, c’est toujours la certitude d’une fin bluffante, ce qu’on attend d’un bon roman à suspense !
Crédit photo : Melania Avanzato